Akhénaton
Akhénaton
Aton est resplendissant
Akhénaton est un roi qui déchaîne bien des mystères et bien des rebondissements. Représenté sous des trains difformes et plutôt disgracieux, bâtisseur d'une ville abandonnée aux chacals, époux de la plus belle reine d'Egypte, rénovateur de la religion Egyptienne, l'un des premiers investigateurs du monothéisme... Oui, décidément, Akhénaton a tout d'un pharaon hors du commun : plus on l'admire et plus il fascine, tout le singularise au milieu de ses ancêtres et descendants. Mais Akhénaton est un avant tout un pharaon maudit : les égyptiens qui lui ont survécu ont martelé ses cartouches et détruit les temples qu'il avait construit. Ses successeurs ont tout fait pour effacer sa mémoire et le plonger dans l'oubli. Qu'avait-il bien pu faire pour déclencher autant de haine, autant de colère de la part de ses sujets ?
Une Egypte prospère :
Aménophis III et la reine Tiy, sont des souverains affluents, populaires et fortunés. Par delà les frontières, les rois étrangers envoient quantités de cadeaux et de merveilles pour honorer Aménophis III et sa cour. D'autres lui demandent de l'aide pour soutenir leur économie en justifiant par "l'or est comme de la poussière sur les terres de [pharaon]". Celui-ci est présenté comme un formidable guerrier : les victoires mineures qu'il remporte sur l'ennemi sont acclamées comme des triomphes, chantées et gravées dans la pierre. Le roi est aussi un fervent admirateur du dieu Amon, il lui rend de multiples hommages et, d'après certains égyptologues, va même jusqu'à encourager le culte du dieu Aton, une divinité mineure associée au soleil. La reine Tiy apparaît dans les contrats de mariage entre son époux et ses épouses secondaires. Elle possède une vaste influence sur le monde qui l'entoure.
Leur fils, Aménophis IV, monte sur le trône aux alentours de 1372 av. J.C.. Peut être a-t-il effectué une co-régence avec son père pendant quelques années... Dès les premiers temps, le jeune souverain semble manifester un désintérêt visible pour les autres dieux et ne se préoccupe que d'un seul : Aton. S'il n'impose pas sa religion brutalement tout de suite, il finit pour l'instaurer avec plus de fermeté. Certains voient dans cette fascination inattendue un Aménophis IV ultra-concervateur pour le culte de son père, d'autres y décèlent une innovation majeure et jusqu'alors inexpérimentée par les égyptiens : le monothéisme.
Une révolution religieuse :
Le règne d'Aménophis IV est source de nombreux changements. Le premier, bien sûr, se situe dans le domaine de la
religion. Il faut savoir que le clergé égyptien à cette époque est très influent : richissime, bénéficiaire de nombreux impôts, possédant ses propres actions commerciales et un contrôle sur une part de la main d'oeuvre du pays. Le déclin de la communauté religieuse est dévastateur. Aménophis IV fait construire des temples à Thèbes en l'honneur d'Aton. Il y célèbre un culte remarquable et condamne les anciens dieux, et tout particulièrement Amon. Il ordonne la fermeture des anciens temples, la destruction des icônes et réorganise les fêtes religieuses.
Aménophis IV est désormais le seul capable de transmettre la parole divine. Il change son nom pour Akhénaton, "Aton est resplendissant", lui consacre un hymne où il proclame "tu es en mon coeur, mais personne d'autre ne te connaît, sauf ton fils Akhénaton". Pour adorer Aton, il faut adorer son unique prophète. Aussi les sujets d'Egypte lui doivent-ils une obéissance et une foi totales.
Ci contre : Akhénaton faisant des offrandes à Aton, dieu représenté sous la forme de disque solaire aux rayons terminés par des petites mains.
Une silhouette androgyne :
Les portraits et représentations d'Akhénaton soulèvent bien des interrogations. En effet, le pharaon est représenté avec des hanches rondes, une poitrine saillante et un ventre proéminent... Ajouté à son visage émacié, ses grandes lèvres ourlées et ses yeux étirés, le tout lui confère une allure étrangement féminine. Certains hésitent même à affirmer que ces représentations sont bien celles du roi, et opteraient plutôt pour celles de la reine, Néfertiti.
Que voulaient signifier les artistes en dépeignant un roi difforme ? Etait-ce bêtement la réalité ? Akhénaton avait-il réellement des traits aussi disgracieux ?
Etait-il stérile ? D'où une représentation féminisée. Ou étaient-ce les symptômes de la maladie ?
Etait-ce simplement un désir d'originalité de la part des artistes et/ou du souverain ?
Etait-ce ainsi qu'Akhénaton se représentait-il le divin ? Voulait-il souligner le caractère religieux de sa personne ? Car les autres membres de sa famille, sa femme et ses filles, affichent aussi des malformations physiques. N'était-ce pas juste le fruit d'une union consanguine comme il était d'usage fréquemment dans les lignées royales à cette époque ?
Le mystère reste entier...
Une révolution artistique :
Bien sûr, vous l'aurez deviné au paragraphe précédent, l'art a subi quelques changements du temps d'Akhénaton. Peut-on inclure ces mystérieuses silhouettes dans une volonté d'innovation artistique ? Nul ne sait. Mais d'autres évolutions notables sont quand même bien visibles.
Primo, la famille royale est fréquemment représentée ensemble, dans des scènes intimistes. Bien loin du pharaon guerrier, Akhénaton est dépeint comme un père et un mari aimant. L'accent est mis sur l'amour et la tendresse.
L'écriture hiéroglyphique (ce point est évoqué très légèrement dans mes sources et pourtant il me semble avoir déjà lu ça quelque part, à vérifier, je suis presque sûre que c'est bon) semble avoir connu quelques évolutions. Elle s'apparente plus à une écriture cunéiforme dans la correspondance (et peut-être aussi dans l'hymne à Aton composé par le pharaon).
Le buste de Néfertiti, l'épouse d'Akhénaton, témoigne aussi d'une importante révolution artistique dans le style, dans les détails, dans la texture, dans le jeu des lumières et dans l'expression des visages. Pièce maîtresse du musée de Berlin, le buste de Néfertiti - très loin des difformités de certaines représentations - est un chef-d'oeuvre égyptien à couper le souffle comme le dit celui qui l'a découvert, Ludwig Borchardt, quand il fait son inventaire : "description inutile : doit être vue."
Buste de Néfertiti, conservé à Berlin.
L'horizon d'Aton :
En 1362 av. J.C., Akhénaton décide de construire pour Aton une ville qui soit vierge de l'ancienne emprise des autres dieux. Thèbes ne lui suffit plus. Ainsi, il se lance dans la création d'une nouvelle ville, au beau milieu d'une plaine désolée, pas très loin du Nil, à peu près au milieu de l'Egypte.
Une fois les travaux terminés, il n'y a pas une minute à perdre : Akhénaton part sur le champ, accompagné de toute sa famille et de toute sa cour, pour s'installer dans sa nouvelle cité qu'il nomme Akhetaton, "l'horizon d'Aton".
Construite à la hâte, Akhetaton est une ville splendide. Elle rayonne de mille couleurs chatoyantes et ses nombreux jardins fleuris enchantent les yeux et les narines. Un temple dédié à Aton, à ciel ouvert, permet d'offrir au dieu l'asile terrestre dont il a besoin. Akhénaton fait aussi construire un palais royal et aussi un autre palais, pour sa reine.
Il organise de grandes processions pour marquer son arrivée dans la vraie ville d'Aton. Il jette de l'or et des joyaux par delà la fenêtre des apparitions.
L'inauguration de la cité s'accompagne de nombreux déménagements ; toutes les classes sociales viennent peupler Akhetaton et les habitants gravent leurs noms sur leur porte. Certaines inscriptions nous sont parvenues...
Voici le plan de la ville Akhetaton. On peut y voir le palais et le bureau des archives, la maison de Thoutmose (auteur du buste de Néfertiti et où a été retrouvé la sculpture). La maison de Nakht est une des maisons comportant un nom gravé. Les stèles-frontières ont été érigées avant la construction, pour délimiter les futurs remparts de la cité, pharaon et sa famille y sont représentés.
Un règne d'amour et de paix aveugle :
Si l'instauration du nouveau culte et l'édification de la cité apparaissent comme un succès, l'Egypte n'est néanmoins pas si prospère. Des guerres frappent différentes parts du pays et Akhénaton reste indifférent aux appels désespérés de ses troupes.
Ainsi, Souppilouliouma, roi des Hittites, s'empare des plaines d'Alep malgré les supplications à l'aide des soldats de pharaon. Abdesherans conquiert une région de la Syrie...
De plus, la religion monothéiste n'est jamais totalement adoptée par les égyptiens. Appartenant à un peuple très proche de son patrimoine et de son passé, la plus grande des offense pour un égyptien est de sombrer dans l'oubli après sa mort, de le couper de toutes liaisons avec le monde des vivants. Le souvenir est une vertu capitale pour la culture égyptienne. Jamais Akhénaton n'est arrivé à briser les liens de ses sujets avec leur passé. Ainsi, des icônes d'anciens dieux sont cachées, adorées dans la peur et le secret. Une razzia massive est organisée pour purifier le peuple égyptien de ses anciennes racines. Mais rien n'y fait.
La mort d'un monarque, la résurgence de la tradition :
Après la mort d'Akhénaton (vers 1338 av. J.C.) s'ouvre une période assez floue pour les égyptologue.
Certains estiment que c'est Sménekhkarê, le successeur attitré d'Akhénaton, qui serait devenu roi après la mort du souverain pendant trois ans environ. D'autres pensent que c'est la reine Néfertiti, après avoir mystérieusement disparu, qui aurait repris le pouvoir sous le nom masculin de Sménekhkarê, pendant la même période.
Toujours est-il que le roi majeur ayant suivi Akhénaton quelques années après sa mort est le célèbre Toutankhaton, "gracieux de la vie est Aton". La disparition du pharaon hérétique entraîne un retour du clergé traditionnel qui retrouve toute son influence. Akhetaton est abandonnée aux sables et aux chacals. Le nouveau roi étant trop jeune (9 ans), l'Egypte rebascule dans la tradition malgré lui et Toutankhaton devient Toutankhamon, "gracieux de la vie est Amon".
Cependant, dans la tombe de Toutankhamon, certains objets sont marqués du signe d'Aton. Comme quoi, le culte du pharaon maudit n'a pas totalement disparu malgré la mort de son prophète.
Le pharaon qui contribue à la traque active et soutenue du souvenir d'Akhénaton est Horemeb. Il prétend purifier l'Egypte de la période honteuse et noire durant laquelle les égyptiens furent privés de l'amour des vrais dieux. Ainsi, les temples érigés par Akhénaton sont démolis, ses cartouches martelés. La plus redouble des punitions lui est attribuée pour toutes ses excentricités : l'oubli.
Le réveil du pharaon :
Mais non ! Ne pleurez pas ! Si je peux vous parler d'Akhénaton aujourd'hui c'est parce que l'acharnement des égyptologues a eu raison de la colère des égyptiens !
Ce sont les ruines d'Akhetaton qui furent découvertes en premier. Le nom moderne du site est Tell-el-Amarna ou simplement El-Amarna. J.G.Wilkinson s'intéresse au site et fait des copies de certains reliefs vers 1824-1826. En effet, aucun dieu traditionnel n'y est représenté et les cartouches sont mutilés. La connaissance des hiéroglyphes est à cette époque tremblante mais il suffit à Wilkinson de poser les yeux sur les pierres pour se sentir en présence de quelque chose d'extraordinaire.
En 1843, c'est le grand égyptologue allemand Lepsius qui réunit suffisamment de documentation sur les ruines d'El-Amarna pour occuper plusieurs générations de chercheurs.
En 1887, une femme trouve dans les vestiges de la cité un lot important de plus de 300 tablettes d'argile. Elle les vend pour une misère et les tablettes passent de main en main, certaines sont égarées d'autres détruites et le reste arrive finalement sous le nez de Budge qui est convaincu de leur authenticité. Après une étude approfondie, il se rend compte que ces tablettes sont les restes d'archives diplomatiques.
Le souvenir d'Akhénaton émerge véritablement en 1926. L'archéologue français Henri Chevrier étudie les ruines de Karnak et Louxor et il remarque (comme Lepsius auparavant) que certaines pierres portent des traces de peinture appartenant probablement à des scènes plus vastes. A l'autre extrémité du temple de Karnak, Chevrier découvre des moellons brisés au nom d'Aménophis IV. Il conclut que ces pierres, appelées talatates (signifiant "trois" car mesurant trois empans), appartiennent à un ancien temple démoli.
De toutes ces pierres éparpillées, il en résulte un immense puzzle. C'est en 1965 que Ray Winfield Smith a l'idée de se servir d'une ordinateur pour clarifier la situation. Grâce à l'ordinateur, des milliers de rapprochements ont été fait et certaines fresques de l'ancien temple d'Akhénaton sont reconstituées. Le pharaon est sauvé de l'oubli !
En 1978, l'égyptologue Donald Redford découvre parmi les restes du temple d'Akhénaton, un morceau de charge portant le cartouche d'Horemeb. L'ouvrier égyptien aura cassé son outil en voulant marteler la façade du temple ou frapper un autre travailleur paresseux...
Les talatates reconstituées.
Sources : Egypte : terre des pharaons, par les rédacteurs des éditions Time-Life, Amsterdam, dans la collection Grandes Civilisations du passé.