L'Ecolière

L'Ecolière

Le Roi des aulnes

Le Roi des aulnes

Michel Tournier

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L'histoire : contrairement à d'habitude, j'ai choisi de vous présenter ce livre, non avec une petite introduction de mon invention, mais avec l'incipit du roman que je trouve très représentatif. Devant l'ambiguïté du personnage principal, je pense que c'est peut-être mieux qu'il se présente lui-même...

3 janvier 1938. Tu es un ogre, me disait parfois Rachel. Un ogre ? C'est-à-dire un monstre féerique, émergeant de la nuit des temps ? Je crois, oui, à ma nature féerique, je veux dire à cette connivence secrète qui mêle en profondeur mon aventure personnelle au cours des choses, et lui permet de l'incliner dans son sens. 

Je crois aussi que je suis issu de la nuit des temps. J'ai toujours été scandalisé de la légèreté des hommes qui s'inquiètent passionnément de ce qui les attend après leur mort, et se soucient comme d'une guigne de ce qui n'en était d'eux avant leur naissance. [...]

Quant à la monstruosité...

Et d'abord, qu'est-ce qu'un monstre ? L'étymologie réserve déjà une surprise un peu effrayante : monstre vient de montrer. Le monstre est ce que l'on montre - du doigt, dans les fêtes foraines, etc. et donc plus un être est monstrueux, plus il doit être exhibé. Voilà qui me fait dresser le poil, à moi qui ne peux vivre dans l'obscurité et qui suis convaincu que la foule de mes semblables ne me laisse vivre qu'en vertu d'un malentendu, parce qu'elle m'ignore. 

Pour n'être pas un monstre, il faut être semblable à ses semblables, être conforme à l'espèce, ou encore être à l'image de ses parents. Ou alors avoir une progéniture qui fait de vous dès lors le premier chaînon d'une espèce nouvelle. Car les monstres ne se reproduisent pas. Les veaux à six pattes ne sont pas viables. Le mulet et le bardot naissent stériles comme si la nature voulait couper court à une expérience qu'elle juge déraisonnable. Et là, je retrouve mon éternité, car elle me tient lieu à la fois de parents et de progéniture. Vieux comme le monde, immortel comme lui, je ne puis avoir qu'un père et une mère putatifs et des enfants d'adoption.

...

Je relis ces lignes. Je m'appelle Abel Tiffauges. Je tiens un garage place de la Porte-des-Ternes, et je ne suis pas fou. Et pourtant, ce que je viens d'écrire doit être envisagé comme un sérieux total. Alors ? Alors l'avenir aura pour fonction essentielle de démontrer - ou plus exactement d'illustrer - le sérieux des lignes qui précèdent.

   

Mon avis :

En fait, il est difficile de vous parler de ce livre sans vous parler du personnage, directement ou indirectement. "Alors l'avenir aura pour fonction essentielle de démontrer - ou plus exactement d'illustrer - le sérieux des lignes qui précèdent", dans cette phrase, "l'avenir", c'est la suite du roman consacrée au destin d'Abel Tiffauges, "le sérieux des lignes qui précèdent" constitue le thème principal : découvrir les multiples facettes de ce "monstre". 

Je ne me suis réellement attachée au personnage que vers la seconde moitié du roman. Dans la première partie, qui recèle les "écrits sinistres" c'est-à-dire des pages dans le style de celle que j'ai recopiée, des pages qui portent sur les pensées profondes du héro, on découvre un homme étrange, hors du commun, différent, surprenant. J'avais du mal à cerner à la fois Tiffauges et l'opinion que je me faisais de lui. Et malgré le "je ne suis pas fou", j'avoue que j'avais vraiment du mal à le prendre au sérieux parfois. Mais petit à petit, c'est avec de plus en plus de plaisir que j'ai suivi ce personnage. Sa vision du monde est certes différente, mais elle n'en est pas moins logique et tout à fait possible. C'est déroutant, je l'admets, mais après tout, pourquoi pas ? Il m'a fallu du temps pour me fondre dans cet univers saugrenu et je ne ne suis pas déçue du tout. C'est la sensibilité de Tiffauges sur le monde qui l'entoure qui m'a touchée.

De plus, ce personnage que l'on qualifierait volontiers d'excentrique ou de dégénéré est le seul qui adopte une attitude que je qualifierais de "humaine" dans certaines conditions. Alors que c'est lui qui est censé être un monstre, son entourage se transforme facilement en des bêtes furieuses et cruelles comme par exemple, lors de l'exécution : les gens se perdent d'excitation devant la décapitation d'un homme alors que Tiffauges, lui, vomit, ce qui me semble être plus compréhensible dans une telle situation. 

Autre chose qui a attiré mon attention est l'accusation de viol. En effet, Tiffauges est accusé d'avoir violé une jeune fille qu'il reconduit chez elle quotidiennement. C'est tout à fait faux ; nous le savons vu que Tiffauges ne nous cache rien dans ses écrits sinistres. Et pourtant tout l'accuse : la bizarrerie de son comportement, le témoignage déplaisant de ses voisins, sa personnalité étonnante... N'importe qui l'aurait inculpé. Et pourtant, il est innocent. Cela marque encore le profond fossé qui sépare Tiffauges de ses semblables et que le livre comble peu à peu.

Pour le reste, j'ai trouvé le récit bien mené. Assez lent et pourtant je ne me suis pas ennuyée une seule fois. Même si j'admets qu'après avoir tourné la dernière page, j'étais soulagée : cette atmosphère glauque et violente m'a un peu épuisée.

Du point de vue historique (Seconde Guerre Mondiale), j'ai trouvé ça très intéressant parce que le roman insiste peu sur tout ce qu'on connaît de cette époque : tout est centré sur la vision de Tiffauges et celui-ci est plus attentif aux signes, à la nature et à son environnement qu'aux événements politiques de l'époque. La plupart des détails sont des éléments de tous les jours. On est plongé dans une autre Allemagne : pas celle qui regorge de camps de concentration, le détail phare de cette période, une terre en noir et blanc, une terre de magie, la patrie d'ogres assoiffés de chair. J'ai adoré cet aspect assez oublié des romans historiques ordinaires. Le roman est beaucoup plus axé sur la vie quotidienne.

Je joins à cet article la bande annonce du film Le Roi des aulnes de Volker Schlöndorff. Dans cette bande annonce, il est dit que Tiffauges est un être "innocent". J'ai sauté au plafond parce que jamais je ne m'étais figuré que ce personnage était innocent. Alors j'ai regardé dans le dictionnaire et j'ai vu les deux définitions suivantes : innocent : adj, naïf ou qui est incapable de faire le mal. Naïf, il ne l'est certainement pas. Incapable de faire du mal. J'aurais dit oui s'il n'avait pas essayé d'étouffer un officier pour sauver Ephraïm. Mais c'est vrai qu'il y a quelque chose d'innocent dans cette personnalité, malgré les éléments "ogresques". A voir...

 

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25/08/2013
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