Acte III, scène 5 : La terreur des médecins (Molière)
Acte III, scène 5
Molière, TocToc
Molière est assis dans un grand fauteuil, recouvert d'une lourde couverture de laine et ne cesse de tousser. TocToc entre.
TocToc : Bonsoir monsieur, je suis le docteur TocToc.
Molière : Ah ! Vous voilà enfin !
(Molière tousse de plus belle)
TocToc : Calmez vous monsieur. Souffririez-vous d'un rhume de politesse ?
Molière : Ah c'est bien les médecins, ça ! Toujours une réponse à tout mais quand il faut soigner, il n'y a plus personne !
TocToc : (en retroussant ses manches) Voyons cela, voulez-vous. Veillez lever les bras, s'il vous plaît ?
Molière : Je vous demande pardon ?
TocToc : Oui, oui monsieur, levez les bras.
Molière : Mais pourquoi faire ?
TocToc : Allez-vous me laisser faire mon travail ?
Molière : Non monsieur, j'ai moi-même d'excellentes connaissances en médecine et plusieurs amis dans la profession.
TocToc : Ah oui, et quels sont-ils ?
Molière : Eh bien, entre autre monsieur Jean Armand de Mauvillain, dont le parrain n'est autre que notre bien aimé cardinal de Richelieu et dont le père était le médecin de notre bon roi Louis XIII...
TocToc : (tremblant et hésitant) Assez, merci. Et pourquoi ne vient-il pas vous soigner ?
Molière : Il est très occupé. Il a beaucoup de peine à soutenir l'usage de l'Antimoine1 sous la forme de vin émétique...
(TocToc pousse un soupir dédaigneux)
Molière : Excusez-moi, je n'ai pas bien entendu.
TocToc : C'est sans importance. Bien, laissez-moi vous ausculter à présent.
(La toux reprend de plus belle. TocToc se place derrière lui, redresse sa chemise et écoute son cœur).
Molière : Que faites-vous ?
TocToc : Je vous ausculte, quelle question ! Maintenant, restez tranquille.
Molière : Ne croyez-vous pas que ce serait chose plus aisée d'écouter les mouvements du cœur par la poitrine ?
TocToc : Inutile, j'ai mon diagnostic : il faut saigner !
(Molière manque de s'étouffer)
Molière : Saigner !
TocToc : Oui monsieur. Je vais chercher ma lancette...
(TocToc se dirige vers son sac)
Molière : Mais vous n'y pensez pas !
TocToc : Bien sûr que si ! Alors, on se dit avoir de solides connaissances médicales et l'on ne sait pas que le sang qui circule dans les veines est le transporteur de toutes les maladies ?
Molière : Mais quelle sottise ! Vous les médecins, vous attachez trop d'importance aux avis des anciens.
TocToc : Allons taisez-vous. Vous ne sentirez rien, tout le monde passe à la saignée une fois dans sa vie : elle soulage la poussée des dents pour les nourrissons, elle apaise la douleur de l'accouchement et c'est un excellent remède pour les saignements. Tenez, il y a quelque jours, un jeune homme a donné accidentellement un gros coup de coude à son voisin qui s'est mis à saigner du nez. Moi, tout juste sorti de la faculté, connaissant toutes les maladies par cœur et en latin s'il vous plaît, j'ai bondit sur le jeune homme et je l'ai saigné. Figurez-vous que l'hémorragie s'est arrêtée !
Molière : Bien sûr, quand il n'y a plus de sang dans le corps, idiot !
TocToc : C'est vrai que maintenant que vous le dîtes, il n'a survécu que trois jours...
Molière : Sortez immédiatement de ma chambre !
TocToc : Bon, bon, si vous le prenez comme ça, je ne vous saignerai pas.
(Molière soupire d'aise. La toux reprend)
TocToc : Je vais vous purger...
Molière : (en proie au désespoir) Mais qu'est-ce qu'il raconte encore ?...
TocToc : Allons, monsieur Poquelin, rassurez-vous. Je vais chercher mes outils.
(TocToc retourne près de son sac et en sort une très longue seringue)
Molière : Qu'est-ce que c'est que ça ?
TocToc : Une seringue.
Molière : Mais oui, une seringue, j'avais compris. Mais que comptez-vous en faire ?
TocToc : (railleur) Alors, docteur, on ne sait plus comment on purge les entrailles ?
Molière : J'en ai bien peur...
TocToc : Trêve de discussion, j'ai encore quelques malades à voir. Allons, levez-vous et penchez-vous.
Molière : Vous ne comptez tout de même pas m'introduire cette aiguille là ou je pense ?!
TocToc : Une seringue.
Molière : D'accord, une seringue, mais répondez.
TocToc : Eh bien si, je vais introduire cette seringue remplie d'eau aromatisée dans votre postérieur.
(Molière voit trente-six chandelles)
TocToc : Avec ce remède là, personne n'est encore mort...
Molière : A moi ! A moi ! Au secours !
TocToc : Allez-vous vous calmer ?
(Deux hommes armés attrapent TocToc)
TocToc : Vous semblez avoir un rhume de cerveau ! Vous auriez dû me laisser vous saigner !
Molière : Apprenez, jeune charlatan, que les ressorts de notre machine sont des mystères jusqu’ici où les hommes ne voient goutte !
(Les hommes emmènent TocToc)
1. Elément chimique souvent présent dans de nombreux minéraux.