L'Ecolière

L'Ecolière

Lorsque j'étais une oeuvre d'art - Eric-Emmanuel Schmitt

Lorsque j'étais une oeuvre d'art

Eric-Emmanuel Schmitt

 

L'histoire :

"J'ai toujours raté mes suicides. J'ai toujours tout raté, pour être exact : ma vie comme mes suicides."

C'est sur ce bilan particulièrement morbide que commence l'histoire de ce héros planté au bord d'une falaise pour y faire le grand saut, le dernier. Alors qu'il ressasse les moments de sa triste existence, un "donnez-moi vingt quatre heures !" retentit derrière son dos. Le héros se retourne et découvre un curieux personnage, assis sur un pliant de golf, vêtu de blanc, les doigts et les dents parsemés de pierres précieuses. "Oui, donnez-moi vingt-quatre heures. Pas une de plus. A mon avis, ça suffira."

C'est à cet instant que le héros a rencontré celui qu'il appelle son "Bienfaiteur". Non seulement il l'a sauvé du suicide mais en plus, il a donné un sens à sa vie : celui de devenir une oeuvre d'art,  son  oeuvre d'art. Défiguré, démembré, refaçonné de toute pièce, réduit à la seule matière vivante, sans âme, sans parole, sans humanité, découvrez l'étrange et douloureuse histoire d'Adam bis qui a été jusqu'à déformer son propre corps pour gagner l'estime des autres, et de soi-même.

 

Mon avis :

C'est un roman... étrange. Etrange parce qu'on ne sait pas s'il faut rire ou pleurer. Rien que cette phrase du premier chapitre : "Rater ma vie, soit... mais mes suicides !" faut-il en rire ou en pleurer ? Faut-il se moquer du héros ou le plaindre ? D'emblée, le roman m'a énormément perturbée parce que je ne savais pas quelle ligne de conduite adopter.

La suite est d'autant plus inquiétante car les personnages et les descriptions sont tellement grotesques et caricaturés qu'on n'arrive jamais à se faire une idée précise de ce qui est raconté. Le personnage de Zeus-Peter Lama (le bienfaiteur du héros), par exemple, va d'excentricité en excentricité : son apparence est parfaitement fantaisiste avec toutes ses bagouzes aux doigts et tous ses diamants sur les gencives, sa maison est une aberration même entre la spirale interminable qu'il faut faire en voiture pour atteindre le perron et les tableaux représentant Zeus en train de batifoler avec des animaux dans les positions les plus délirantes, son art même est une folie mélangeant l'emballage de monuments, la coloration des fleuves et la sculpture sur des êtres vivants !! 

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Et le clou du spectacle, c'est cette étrange oeuvre d'art connue sous le nom d'Adam bis  et que Zeus-Peter Lama a réalisée en refaçonnant le corps du héros. Aucune description précise n'est donnée de cette  chose. Au début, j'imaginais un affreux monobloc, comme ceux qu'on peut voir dans les musées contemporains, de grandes sculptures en forme de troncs d'arbres, mais sans les branches et sans les feuilles. Mais le roman précise qu'Adam a encore des épaules. Alors j'ai imaginé un genre de Picasso, avec les bras et les jambes au mauvais endroit... bref, impossible de se représenter la monstruosité suprême. 

Finalement, c'est cette ambiguïté constante qui a été le moteur de ma lecture. Il fallait trouver une unité dans ce mélange d'hilarité, de curiosité, de dégoût, de tristesse, de compassion... Impossible de trouver une émotion qui surpasserait toutes les autres. Le texte m'a malmenée, j'étais en proie aussi bien à des crises de larmes qu'à des crises de fou-rire. Je n'arrivais pas à admettre que de telles abominations soient possibles et racontées presque comme si c'était normal. Le livre avait l'air de dire que l'art de Zeus était vraiment de l'art, qu'Adam bis  était vraiment une sculpture, qu'il était normal que le héros ait envie de suicider à cause de sa pitoyable banalité, ni laid ni beau, ni bête ni intelligent... je ne trouvais rien à redire et en même temps, je n'arrivais pas à l'accepter.

Ce mélange d'émotions prend fin à la moitié du livre, lorsque Adam rencontre le peintre Carlos Hannibal et sa fille Fiona. A ce moment-là, le livre dévoile son vrai visage et cette gigantesque mascarade prend fin. Une ligne de conduite est acceptée : celle du rejet. L'histoire retrouve un "cours normal" puisque la suite raconte **attention spoiler** le combat d'Adam pour retrouver son humanité et se débarrasser de cette apparence informe. 

Au final, tout est bien qui finit bien. C'est un livre qui ne me laisse pas indifférente et qui m'a même beaucoup retournée et ballottée d'une émotion à l'autre. D'autant que l'histoire est émaillée de petites réflexions sur la beauté, l'art, le corps et même le show business ! C'est un livre qui fait beaucoup réfléchir, mais qui utilise surtout les émotions pour révéler des non-dits, des mensonges, des peurs... Il montre les contradictions en nous les faisant vivre. 

Voilà pour cette chronique. Je n'arrête pas d'essayer de ré-écrire entre les lignes pour essayer de rendre du mieux que je peux toute la richesse de cette histoire, mais il y a trop de fils directeurs, trop de clés de lecture différentes pour faire un compte rendu précis. Certains y verront une balade intellectuelle, d'autres une aventure, d'autres encore une belle histoire d'amour. Chacun en retient ce qu'il veut, il y a suffisamment de thèmes abordés pour que tout le monde puisse y trouver son compte. Je vous laisse faire votre chemin. :-) La complexité de cette histoire est telle que, pour ma part, j'aurais bien besoin d'une deuxième lecture pour faire la lumière sur tout ça. Pour le moment, j'ai plutôt reçu une claque mais... une bonne claque ! Une claque bénéfique ! :-)

 

D'autres avis :

En parcourant les chroniques sur Livraddict, je me rends compte que beaucoup de lecteurs ont été dérangés par cette écriture qui alterne entre humour noir et descriptions lyriques. 

Lorsque j'étais une oeuvre d'art – Eric-Emmanuel Schmitt | DEEDR : "le narrateur est pathétique et Zeus-Peter Lama insupportable !" voilà une chronique très sensible et bien écrite de Deedr qui a beaucoup aimé le roman pour son ambiance "onirique" ou cauchemardesque.

Lorsque j'étais une oeuvre d'art - Eric-Emmanuel Schmitt | My Little Anchor : pas très touchée par cette histoire, My-Little-Anchor y a surtout vu une réflexion philosophique et se demande même s'il ne s'agit pas plus d'un essai sur l'oeuvre d'art que d'un roman. 

Lorsque j'étais une oeuvre d'art - Eric-Emmanuel Schmitt - L'avis d'une Lyonnaise : un avis négatif cette fois. L'ambiguïté des descriptions, le manque de détails, les exagérations répétées, les excentricités des personnages... tout ça aboutit à une impression de mal à l'aise constante et à une déception...



01/09/2017
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